Vendre ou ne pas vendre : la rédaction web résiste-t-elle à l’oral ?

Nov 05, 2013

Le monde du web bruisse des changements apportés par le géant des moteurs de recherche. "Le contenu est roi ! Le contenu est roi ! " s'époumonent les vendeurs de friture en tous genre, naguère spécialistes de l'affiliation, puis des campagnes de mots-clefs, puis des méthodes et des résultats issus des "analytics", puis du "Cloud", du "Big Data" et désormais du contenu : spécialistes de tout en somme.  

technologie.jpgL'un se fend d'un billet sur l'importance d'un "not defined" en expliquant doctement comment contourner la loi d'airain de "la firme de Mountain View" ainsi que l'appellent les journalistes, l'autre décrit avec un soin de dentellière les arcanes de la "stratégie de contenu" qu'il vient d'élaborer à la lecture de quelque article, tandis qu'un troisième, grand prêtre du "marketing online" agite avec une verve toujours renouvelée, sa litanie de préceptes prêts à l'emploi. 


Rien de nouveau, en somme. Les mêmes, ou leurs cousins, expliquaient il y a peu quelle densité exacte de telle vocable permettrait de parvenir aux positions rêvées, d'autres encore démontraient doctement quelle pyramide miraculeuse devait transformer un texte médiocre pour trouver la lumière et attirer le chaland. Combien de tags H1, H2, combien de courbes issues des statistiques de Google épluchées seconde après seconde, combien de messages d'experts exhumés d'outre-Atlantique afin de démontrer au crédule un savoir-faire idéal, une règle graduée toute puissante qui délivrerait automatiquement des affres d'un taux de conversion trop bas.  

Les mêmes, naguère et ailleurs, s'emparaient de toute affaire à la mode, qu'elle fut huile de serpent pour guérir tous les maux ou appareil mécanique à double valvule biconvexe permettant de tout faire dans l'entreprise comme à la maison. L'art de faire avaler facilement toutes sortes de couleuvres. 

Le contenu est-il roi ? S'il l'est, le roi pourrait bien être nu, voire plus simplement mort. Pourquoi ?  

Agences de contenu, rédacteurs web, « content manager » tendent trop souvent à mettre en avant la technique. Il est vrai que sans technique un don n'est rien qu'une sale manie, disait le poète. Mais la technique sans don n’est même pas une manie : c’est un tonneau vide qui fait du bruit. 

D'autres préfèrent mettre en avant le sens, qui se base sur les valeurs et principes de l'entreprise. C'est une approche fort vertueuse mais assez peu efficace. Car dans la réalité, ce que l'on attend d'un contenu web c'est qu'il conduise à une vente. Votre contenu, c'est votre vendeur. Or pour vendre, inutile d'avoir fait des études longues comme le chemin de Compostelle, non : il suffit de posséder ce talent particulier qui emporte l'adhésion de l'interlocuteur.  

vendeur.jpgOn ne s'improvise pas vendeur. On peut le devenir à force de travail, mais il faut du talent. Un bon vendeur est avant tout un acteur, un metteur en scène aussi qui sait présenter à son auditoire généralement unique une pièce de théâtre fabuleusement courte. Un être capable d'exposer en quelques instants la quintessence des qualités du produit. Il ne s'agit pas de l'ensemble des prestations proposées, pas plus que de la panoplie complète des accessoires ou des fonctions. Il s'agit simplement de faire miroiter à l'acheteur éventuel les propositions qui lui correspondent le mieux. Voyez d’ailleurs comme le mot « miroiter » évoque l’idée de renvoyer à l’acheteur les besoins qu’il a énoncés lui-même. 

C'est là tout l'art de la vente, ce n'est que cela mais c'est énorme. C’est en outre aussi vieux que le monde. Lorsque l’homme préhistorique cherche à se doter d’une pointe de flèche en silex taillé, il se la procure en échange d’une peau, d’un quartier de viande, de quelques fruits. Le marchandage est parfois difficile, car chacun veut maximiser son profit. Il suffit peut-être que l’habile artisan fasse imaginer au chasseur la prochaine bête magnifique qu’il abattra à l’aide du précieux minéral, et l’affaire se fait. Selon cet axe ou selon un autre, l’artisan devient vendeur pour faire éclore chez l’acheteur une émotion au-delà du besoin : le désir, la certitude que c’est exactement cette pointe de flèche qui lui est indispensable.  Et mille autres éléments diffus qui figurent au répertoire du vendeur de talent. 

Ce talent n'est pourtant pas si répandu. Il ne suffit pas d’être affublé d’une veste « Puis-je vous aider ? » pour devenir vendeur, pas plus qu’il ne suffit de posséder un site web pour devenir entrepreneur à succès.  Par ailleurs, on accole parfois au terme "vendeur" une idée négative, celle d'un personnage défraîchi aux épaules voûtées qui se contente d'aligner les primeurs sur un étal battu par une pluie froide. C'est une erreur funeste, car ce maussade n'est pas un vendeur : c'est un simple commis. Excès inverse, on peut également assimiler le vendeur à cet individu exaspérant, au teint hâlé et au large sourire de convenance, qui se frotte les mains - préalablement passées dans son ample chevelure noire raidie par un gel capillaire du meilleur faiseur- à l'idée de conclure rapidement la vente avant d'aller déguster un risotto d'épaule d'agneau, menthe fraîche et miel d'acacia de la brasserie du coin. 

Un vrai vendeur ? Pas si facile à trouver

Le véritable vendeur ne ressemble pas à ces caricatures. Le vrai vendeur, artiste de l'âme humaine, Don Quichotte des porte-monnaie impavides, le vrai vendeur ne se remarque pas. C'est un psychologue, c'est un analyste, c'est un réservoir d'innovations. Il scrute le comportement et l'attitude de son prospect, effectue rapidement des calculs de probabilité, formule une proposition qu'il adapte sans cesse en écoutant son interlocuteur. Il parle peu, fait parler, aiguille et oriente sans à-coups le prospect qui se transforme lentement en acheteur. Le vendeur est la clef de voute, la pièce maîtresse du processus de vente.  


C’est là tout le problème du site web : le vendeur y est absent. Certes, d'aucun y remédient par des avis consommateurs vérifiés, petites étoiles hollywoodiennes qui semblent porter le produit au rang de star de la page. D’autres installent des fenêtres de « chat », réduction bien infime d’une relation acheteur-vendeur véritable. D'autres établissent des contenus répondant strictement aux pseudo-règles évoquées plus haut, comme celles de la pyramide inversée, du tag alt et du titre avec le bon mot-clef et la bonne proportion de synonymes, mais pas trop -cela gâterait la sauce. On appelle à cet effet sur le devant de la scène, des rédacteurs formés dans les bonnes écoles de l'e-commerce, gavés de chiffres et de tendances, persuadés de l'importance des médias sociaux, connaissant ce qu’il faut de CSS et d’HTML. 

Mais la vérité est très simple. Seul un vendeur peut vendre. Si votre rédacteur n'est pas capable de vendre, ce n’est qu’un littéraire qui n'éveillerait même pas l'intérêt d'un libraire de quartier. Vous faites appel à un rédacteur web, ou à une agence de rédaction ? Après avoir expliqué vos produits ou démontré votre site, faites un test tout simple : demandez à la personne chargée d'écrire vos contenus de vous vendre le produit. Si elle est incapable de passer cet oral miniature, recalez sans état d'âme. 

Les entreprises du web n'ont besoin ni de techniciens bornés, ni de gens de marketing branchés en mal de « hype »  ni de rédacteurs rêvant de gloire littéraire. Elles ont besoin soit de vendeurs qui sachent écrire, soit d'écrivains qui sachent vendre. 



Gilles Lancrey

user_avatar

Entrepreneur, consultant, architecte d'information, chef de projet logiciel, designer, journaliste et logisticien, multi culturel par nature et aficionado de la sémantique autant que de l'intelligence artificielle, féru du web depuis la première heure.